Bientôt, en direct live sur TF1...
[Extrait de "Nu l'Occident" - © Saint-Gilles, 2004]
En ce début juillet, le journal télévisé devient la plus grande émission de télé réalité de France. Episode 1 le jeudi soir, nous suivons pas à pas des millions de gens qui préparent leurs bagages, sans oublier les crèmes pour se protéger du soleil, les maillots de bain, les bobs, etc. Un adolescent est interrogé.
En ce début juillet, le journal télévisé devient la plus grande émission de télé réalité de France. Episode 1 le jeudi soir, nous suivons pas à pas des millions de gens qui préparent leurs bagages, sans oublier les crèmes pour se protéger du soleil, les maillots de bain, les bobs, etc. Un adolescent est interrogé.
"Tu vas faire quoi pendant tes vacances ? demande la journaliste.
- Ben… J'sais pas. On va aller à la plage…
- Tu penses faire des rencontres amoureuses ?
- Ben… P't-être. En te-boi."
C'est affligeant, la grande transhumance peut commencer.
Le vendredi, je mets deux fois plus de temps que d'habitude pour rentrer du bureau. L'épisode 2 a commencé, les millions de gens de la veille sont sur la route. Nous les suivons à la télévision. Des bouchons monstrueux aux barrières de péage. Roger, un père de famille, est furieux, parce que "tous les ans, c'est pareil." Heureusement, sa femme Eliane relativise : "C'est les vacances, c'est pas grave…". Elle est sympa Eliane, elle sourit et donne le bon exemple. J'ai envie d'appeler TF1 et de voter pour elle.
Samedi, la grande transhumance s'achève, les millions de héros sont fatigués mais heureux. Ils découvrent leur merveilleux emplacement de camping et, déjà, les jeunes partent en exploration. Un ado, presque le même que jeudi, est interviewé par la journaliste, qui elle est bien la même.
"Alors, tu es heureux d'être arrivé ?
- Ben… ouais. C'est les vacances quoi.
- Et tu as déjà repéré des endroits sympas ?
- Ben… Y paraît qu'au Bassin Vert, c'est facile de l'ver des meufs…"
La journaliste explique que le Bassin Vert est la boîte de nuit à la mode dans cette station balnéaire. L'épisode s'arrête là et Claire Chazal n'a plus qu'à décliner les titres secondaires de l'actualité, l'Irak, l'islamisme et les heurts en Côte d'Ivoire. Demain dimanche, épisode 4. Que nous réserve-t-on cette fois-ci ? Le premier barbecue ? Le premier Pastis partagé avec les voisins qui sont belges, mais gentils quand même ? Peut-être l'adolescent nous racontera-t-il sa première soirée au Bassin Vert…
Vous imaginez dans quel état d'impatience je vis tout ce dimanche. A vingt heures, enfin, nous allons savoir… En fait, j'ai tout faux. On ne nous montre pas ces moments de convivialité qui pourraient nous réconcilier avec les vacances à la plage. Des milliers de gens entassés sur le sable sont le sujet du jour… Ils ont enfin envahi la plage. TF1 nous sert un deuxième reportage sur l'importance de la crème solaire. Je compte rapidement en regardant les images, onze paires de seins présentées dans ce seul sujet. Puis, les règles de sécurité en mer, quatorze bustes féminins dénudés à l'écran. Enfin, le clou de la soirée, les groupes de jeunes qui glandent toute l'après-midi sur le sable, un poste de radio à fond à côté d'eux. Je n'ai même pas le temps de compter, les marchands de maillots de bain devraient arrêter de fabriquer les hauts… Ressemble-t-elle vraiment à cela la France en vacances ? Je zappe, me voici sur la Deux. Ce que j'y trouve m'assomme définitivement. Un groupe d'adolescents sur la plage, un poste de radio emplissant l'air d'une musique électronique. On parle "drague", "meufs", "morues" même ! Le service public étale autant les chairs humaines à l'écran que son rival du secteur privé. Un garçon prénommé Eric lit Victor Hugo, le reporter de France 2 lui demande pourquoi il ne préfère pas aller draguer les filles. C'est presque un reproche dans sa voix. Il n'écoute pas la réponse de l'adolescent qui explique pourtant qu'il a déjà une petite amie, à Paris, et qu'elle lui manque.
"Tu ne vois personne qui t'attire ici ? reprend le journaliste."
Eric le regarde attristé, ce pauvre type n'a rien à faire de sa romance d'adolescent. Le reportage s'achève avec cette sentence du journaliste hilare : "Comme vous le voyez, Béatrice, l'été sera chaud !"
