Coup de foudre

Publié le par Saint-Gilles

 
Dès que Paolo vit Elisa, il en tomba éperdument amoureux. Elle était venue lui commander un tableau, elle se tenait debout, droite, un peu timide, au milieu de l’atelier et elle essayait d’expliquer ce qu’elle voulait. Elle avait vingt-deux ans, elle finissait alors ses études de droit et elle était la plus belle femme qu’il eut jamais vue.
A dire vrai, ceux qui la rencontraient la jugeaient davantage jolie et élégante que véritablement belle, sans que penser cela ne la dévalorisât pour autant. Des traits plutôt fins et une peau assez claire lui conféraient l’aspect d’une de ces poupées d’autrefois, faites de porcelaine soigneusement décorée. Cette sensation s’accroissait parfois lors des trajets dans les transports en commun ou au cours de repas un peu longs, lorsque la jeune femme parfois s’immobilisait et demeurait passive, telle une statue. Visage d’enfant encore, enfant qu’elle n’avait pas encore totalement cessé d’être. Ses gestes, ses rires, ses regards, sa façon particulière de replacer derrière l’oreille quelques mèches indisciplinées, tout dans sa façon de se mouvoir et d’interagir avec l’extérieur tenait du ravissement. C’est cela que vit Paolo ce matin d’hiver où Elisa vint lui demander une peinture pour Christophore. Et c’est pour cela que, contrairement aux autres hommes, il ne jugea pas la jeune femme jolie ni élégante, mais qu’il vit et aima immédiatement la plus belle femme qu’il eut jamais vue.
Cela eut pu se limiter à une banale histoire de coup de foudre. Mais autre chose venait d’arriver. En effet, Paolo ne fut pas foudroyé, il fut révélé à lui-même. Il lui fut donné de comprendre que lui, Paolo, n’avait été créé par les dieux et envoyé sur cette terre que pour aimer Elisa.
 
La jeune femme le regardait s’essuyer les mains silencieusement. Quelque part dans l’atelier, une radio passait des vieux tubes des années 50. L’odeur des peintures et des enduits saisissait le nez de quiconque venait ici pour la première. Elisa n’échappa pas à la règle et ce fut par un éternuement qui la fit se plier en deux qu’elle répondit au salut de l’artiste. Les mains désormais propres, Paolo s’était approché. La voyant se redresser presque les larmes aux yeux, il rit gaiement et lui prit les deux mains.
"Ça va aller, mademoiselle ? Vous voulez peut-être vous asseoir ?"
Il désignait un tabouret couvert de taches et à la stabilité douteuse. Elisa ne s’en formalisa pas et elle s’assit. Elle d’habitude si précautionneuse ne vérifia même pas que la peinture posée sur le siège fut bien sèche. Elle fit confiance à cet homme qu’elle ne connaissait pas et elle se fit pour elle la réflexion qu’elle lui aurait fait confiance pour quoi que ce soit.
Elle expliqua alors le but de sa visite. Elle voulait offrir un tableau et voulait qu’il soit personnalisé. Il ne s’agissait pourtant pas d’un portrait mais d’une évocation d’un univers dans lequel Christophore – c’est le nom qu’elle prononça – retrouverait celui de ses rêves.
"Et à quoi rêve-t-il votre ami ? demanda joyeusement Paolo.
- Vous allez sans doute vous moquer… Il croit que l’avatar d’un dieu juché sur un éléphant blanc surgira un jour d’un palais aux mille pointes et lui donnera, à lui, les clés du destin. Vous pouvez faire quelque chose ?"
Elle s’était interrompue un court instant avant de poser la question, guettant dans l’œil de Paolo un indice sur sa réaction. Le peintre avait continué de sourire comme si la jeune femme avait énoncé quelques nouvelles banales de relations communes.
"J’aime déjà votre ami, lança-t-il, toujours immobile, debout devant la jeune femme."
Il entreprit alors de parcourir des cercles au milieu de la pièce. Il n’avait rien dit d’autre, il n’avait pas répondu à la question d’Elisa.
"Voulez-vous voir quelques toiles récentes que j’ai produites, mademoiselle ? demanda-t-il interrompant brusquement son mouvement.
- J’ai déjà assisté à une de vos expositions, monsieur. C’est bien pour ça que je suis venue vous voir vous.
- Ah, vous êtes gentille, merci…"
Ils convinrent d’un rendez-vous quelques jours plus tard. Paolo y apporterait des esquisses de ses premières idées. Ils pourraient en discuter.
La jeune femme se leva et tendit la main pour saluer. Le peintre la saisit et la serra l’air de rien. Elisa ne vit pas que le cœur de Paolo venait de se remettre en marche après un long sommeil, qu’il menaçait de tout emporter et que l’homme devant elle ne connaîtrait plus de jour où il ne penserait à elle au moins une fois par minute…
 

Publié dans © Saint-Gilles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
4
un artiste ? oui !
Répondre
4
il existe dis Paolo ?
Répondre
S
Laisse-moi réfléchir... Euh... non, je ne crois pas... Pourquoi, tu cherches un peintre ?